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J’ai testé la moto électrique Energica de Grand Prix

Avant, je détestais tout ce qui avait deux roues mais pas de boite de vitesses. Ça n’est plus le cas. Bien qu’elle soit électrique, et surtout automatique, la Energica Ego Corsa de MotoE mérite amplement d’être considérée comme une vraie moto de course.

« Cette moto est équipée des mêmes pneus que les MotoGP, ces gommes Michelin demandent à être mises en température pour fonctionner. Pour ça vous devez absolument rouler le plus fort possible dès votre accès à la piste, sinon vous chuterez sans l’ombre d’un doute. Mais comme il fait froid vous devez aussi être prudents dans les rares virages à droite du tracé, qu’il faut prendre doucement, mais pas trop ». On a juste entendu un ventre gargouiller après ce court briefing de Giampiero Testoni, directeur technique de Energica, le constructeur italien de ces motos de course 100% électriques.

258 kilos, 160 chevaux mais surtout 20 mkg de couple.

J’avais moins de pression quand mon père m’a décrit avec précision le déroulement de ma mise à mort si je n’obtenais pas mon brevet des collèges. Surtout que les caractéristiques de ces machines ont de quoi angoisser : 258 kilos, 160 chevaux mais surtout 20 mkg de couple. Soit presque le double de couple, et 70 kilos de plus qu’une 1000 hypersportive de série préparée pour la course, sans boite de vitesses.

Pour moi, on ne fait pas de course quand on n’a pas de boîte de vitesses.

Évidemment on n’a que 5 tours lancés pour se faire un avis sur la question. Et mon avis, à ce moment précis, c’est qu’on ne fait pas de course quand on n’a pas de boîte de vitesses. C’est essentiel au pilotage : la maitrise des passages de vitesses, la gestion de l’embrayage, celle du frein moteur, les réglages de démultiplications qu’il faut optimiser pour chaque circuit… Tout ça fait partie intégrante de la complexité de ce sport. Je pars donc plutôt pessimiste.

Silence ça tourne

La procédure de démarrage n’est pas très festive pour les oreilles : il faut freiner de l’avant en appuyant sur le bouton « start ». Là, des LED rouges apparaissent sur le tableau de bord, mais sans le moindre son moteur, mis à part trois petits « bips » façon Casio. Ceci veut dire que le moteur électrique attend les ordres. Je débraye. Ah non. Je tourne le plus lentement possible la poignée d’accélérateur et décolle, dans une douceur cotonneuse, de la pitlane. C’est calme, ca ne vibre pas du tout et c’est très progressif. Un petit sifflement mignon apparait avec la mise en régime du moteur.

Ça arrache la tête comme une 1000, mais sans prévenir, sans inertie.

Une fois la fin de stands passés, j’accélère et bloque la poignée en butée. Ma tête et mon buste sont littéralement jetés en arrière alors que le léger sifflement devient un vacarme assourdissant. En toute honnêteté, j’ai eu peur. Ça arrache la tête comme une 1000, mais sans prévenir, sans inertie. Ce truc accélère méchamment. J’entame le premier gauche avant le gros freinage du second. La prise de freins et aussi surprenante que la première accélération, je suis projeté en avant salement et je me retrouve à l’arrêt à l’entame du virage. C’est bon, j’ai remis mes organes dans le bon sens. On va peut-être essayer de conduire avec dignité maintenant.

Tout en bas… et rien en haut

Mon premier tour est spectaculairement lent. Je m’applique à bien charger les pneus à l’accélération et à freiner fort pour maintenir un semblant de chauffe. Mais je prends le temps de cerner l’engin en courbe. Je découvre une moto limpide, naturelle et bien équilibrée. Malgré les 258 kg, elle s’inscrit en virage de manière précise et sans efforts. Le fait de n’avoir aucune vitesse à passer est perturbant, mais devient très vite intéressant : toute l’attention du pilote est consacrée aux repères et aux trajectoires. Ou plutôt à mon incapacité flagrante à les atteindre pour le coup.

En gros… c’est un 2-temps… mais à l’envers.

Vient la ligne droite des stands : Je me couche sur la machine et… j’attends. Rien d’autre à faire pour atteindre les 270 km/h. La poussée est monstrueuse dans le premier tiers de la ligne droite. Mais une fois passée la zone de couple (entre 0 et 6000 tours), on entre dans une phase d’attente où le moteur électrique prends progressivement le reste de son régime pour atteindre un maximum de 11 500 tours. Du coup, ça marche très fort en bas, mais pas en haut. En gros… c’est un 2-temps… mais à l’envers.

Pas d’électronique, le pilote doit tout doser à l’ancienne.

Rien à faire ? Ben si…

Paradoxalement, ces motos aux moyens de propulsion modernes sont totalement dénuées d’électronique. Pas de contrôle de traction, pas d’antiwheeling, pas d’ABS. Ce qui demande une attention vitale au freinage et à l’accélération. Ensuite, la masse de la moto, qui ne gêne absolument pas dans les entrées de courbe, est très présente sur les changements d’angle.

Le commissaire de piste du pif-paf au virage 7 de Valence peut en témoigner, alors que j’espérais faire « claquer » la moto sur un changement d’angle, j’ai juste  émis un « humpf » pas très viril en contrebraquant, auquel j’attends toujours, des jours plus tard, la réponse du train avant. Failli tirer tout droit sous les yeux à moitié fermés du porteur de drapeau. La moto n’aime pas changer de cap, et elle le fait comprendre immédiatement. Il faut nettement plus anticiper un changement d’angle au contre-braquage, en adoptant une trajectoire plus ronde et en donnant encore plus d’impulsion avec le corps.

 Alors oui, on n’a pas de vitesses à gérer, mais je vous garantis qu’on ressort tout aussi épuisé mentalement d’un tour rapide avec ce drôle d’engin. Physiquement aussi…

C’est chaud

Les 5 tours qu’il me reste sont une succession à la fois jouissive et frustrante de tentatives de pilotage traditionnel. Je dis bien tentatives car je reste, quoi que je fasse, à des années lumières d’exploiter les capacités de l’engin. Le freinage finit par montrer ses limites avec 258 kg à arrêter. Energica a doté les motos, comme ses modèles de route, d’un système de récupération d’énergie. Quand on ferme entièrement la poignée d’accélérateur, le moteur se sert de la rotation de la roue arrière pour recharger ses batteries. Le niveau de récupération est réglable et provoque plus ou moins de frein moteur. En prime, pour s’aider à décélérer, un bouton noir est placé sur le comodo gauche. En appuyant dessus, on ajoute du frein moteur supplémentaire. Mais ça ne suffit pas.

les pneus empruntés à la catégorie reine permettent des prises d’angles supérieures aux MotoGP

Les pilotes du championnat MotoE présents (Kenny Foray, Lucas Mahias et Maria Herrera) m’avaient averti : il faut la jeter en virage malgré une vitesse d’approche trop élevée car elle dispose de pneus et d’un train-avant surdimensionnés qui peuvent encaisser. En effet les pneus empruntés à la catégorie reine permettent des prises d’angles supérieures aux MotoGP (plus de 68° !). Je vous avoue que j’étais pas dans le mood pour aller les chercher, mais ça force le respect de voir que les pilotes du MotoE peuvent atteindre ces performances. Au fil des tours, ma vitesse augmente, je garde de l’élan et commence à entrevoir ces folles capacités qu’ont ces motos à passer vite en virage. C’est sincèrement jouissif. Alors que leur gabarit et leur poids semble les destiner à un pilotage typé 1000 hypersport, à savoir freiner tard, casser la trajectoire puis redresser vite pour passer la puissance au sol, en réalité, les MotoE sont plus efficaces si elles sont exploitées comme des petites cylindrées, en gardant un maximum de vitesse et d’angle en courbe.

Bilan

C’est un tout nouveau monde que je découvre ici. Rouler aussi vite avec une moto aussi lourde est une prouesse mécanique qui m’impressionne. Tout comme la force colossale du moteur électrique à bas régimes et l’absence de boîte de vitesses. C’est bien simple, elle m’a manqué uniquement pendant un tour. À la suite, j’étais tellement absorbé par tout le reste que je l’avais oublié… Alors qu’il s’agisse de l’avenir ou pas, je dois admettre que ces machines initient un changement. Ou du moins une option. La première pierre d’un édifice dont personne ne connait l’ampleur, et qui force le respect de ses précurseurs. D’abord de l’équipe Energica, le fabricant. Bien sûr de Nicolas Goubert, le promoteur de la catégorie pour la Dorna. Et aussi des pilotes et des teams engagés, parmi eux nos Français Randy De Puniet, Mike Di Meglio, Kenny Foray… Si on mesure la passion à la taille du sourire qu’on affiche en enlevant le casque, alors soyez rassurés, amateurs de pilotage sur deux roues, ces machines en distillent des tonnes. Alors que nous en sommes qu’à la première année d’existence de ce championnat. Un an, contre plus d’un siècle d’évolution des motos thermiques. Moi je dis, ça laisse songeur…

EN DÉTAILS

Le tableau de bord est bourré d’infos : les modes moteur sont à gauche. À droite, on peut connaitre en direct des choses franchement inutiles au pilote : vitesse, température et pression de la roue avant, même chose pour l’arrière, température de l’air ambient, celle du moteur…
Certains pilotes ont demandé la pose d’un levier de frein arrière à la place de la commande d’embrayage, d’où la présence de ce maitre-cylindre hydraulique. La molette sert à régler, en roulant et de la main gauche, la garde du levier de frein avant.
Pas de levier d’embrayage ici, mais une nuée de boutons pour régler, entre autres, la quantité de frein moteur. Le dernier bouton noir (en bas) est un booster de frein moteur : le pilote l’active lors des grosses phases de freinage pour s’aider du moteur pour ralentir les 258 kilos lancés de l’engin.
Öhlins équipe les MotoE avec du matériel de commerce. L’espèce de petit vérin est un capteur qui mesure le travail de l’amortisseur, donnée télémétrique essentielle pour étudier le comportement de ces machines et optimiser l’usure des pneumatiques.