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L’Energica Eva Ribelle RS m’a procuré des sensations uniques

J’ai passé un peu plus de 2 mois à rouler avec une Energica Eva Ribelle RS : une « street-fighter » électrique italienne. La première semaine, j’ai trouvé que son appellation était un peu usurpée. OK, ça accélère fort, mais c’était pas incroyable non plus. Puis j’ai désactivé le Traction Control. Et là…

Feu rouge. J’attends patiemment, avec un mélange d’envie et d’angoisse au fond du ventre. Je vais tenter d’accélérer à fond dès qu’il va passer au vert. Et j’ai un peu peur. Pourtant, ça fait 23 ans que je fais de la moto et j’ai déjà pris quelques départs. Puis l’Energica Eva Ribelle RS n’a pas d’embrayage, ni de boîte de vitesses. Tout ce que j’ai à faire, c’est tourner la poignée droite. Sauf que 22 mkg de couple n’attendent que ça. C’est plus que n’importe quelle moto du marché et ils sont délivrés avec une violence incroya… Merde, feu vert.

je préfère vous prévenir : aucune moto ne m’a jamais procuré ça

Ce qui devait arriver arriva : je n’ai pas accéléré à fond sur les premiers mètres. Il a fallu gérer un léger délestage de la roue avant, puis un patinage de l’arrière au passage d’une ligne blanche… Quand j’ai pu regarder le compteur, j’étais déjà à 120 km/h. Ce qui s’est passé avant est un peu flou. Comme cotonneux, comme dans un rêve, comme si mon cerveau avait tapé le fond de mon crâne. Et je préfère vous prévenir : aucune moto ne m’a jamais procuré ça. Et, sans vouloir vous spoiler, je pardonne à l’Energica Eva Ribelle RS tous ses défauts en contrepartie des 3 secondes qu’elle vient de m’offrir.

Parce que l’Energica Ribelle RS a des défauts. D’abord, son poids : 270 kg. C’est très lourd, surtout pour une moto qui se veut sportive. Cela la rend délicate à manœuvrer à basse vitesse (une marche arrière vient faciliter la tâche), physique sur les changements d’angle et peu naturelle en entrée de virage. La faute à un ensemble motorisation de 140 kg (100 kg de pack batterie et 40 kg de moteur). Rajoutez 59 kg et vous avec une Ducati Streetfighter V4S complète (avec un cadre, des roues, des freins, des suspensions… et même le plein d’essence).

elle détient le titre de roadster électrique le plus sportif du marché.

Elle est aussi incroyablement chère. Plus de 34 000 €, pour la version que l’on a essayée. Bien sûr, elle est très bien équipée, avec des suspensions Öhlins (+ 3000€), le plus gros moteur du catalogue, du carbone un peu partout… Mais, même à équipement égal, c’est plus cher que n’importe quel autre roadster sportif du marché. La faute là aussi à sa motorisation : l’électrique coûte cher. Parce que c’est une technologie récente, qui a demandé des heures de jus de cerveau. Parce qu’elle est fabriquée en petite quantité. Parce que les composants électriques sont coûteux. Et vous savez le pire derrière tout ça ? Aucune marque de motos électriques ne fait de profit. Donc on ne peut même pas dire que les constructeurs se gavent sur notre dos. C’est simplement une réalité économique.

Malgré tout, l’Energica Eva Ribelle RS détient le titre de roadster électrique le plus sportif du marché. Et mérite son appellation de Street Fighter. Je vous la détaille dans ce qui suit.

Moteur de l’Energica Eva Ribelle RS

Energica EVA Ribelle RS moteur

Il y a beaucoup de choses à dire. Commençons par l’électronique : il y a 4 modes moteur (Eco, Rain, Street et Track). Sur les trois premiers, la moto est d’une douceur incroyable. Évidemment, ça ne vibre pas, on ne peut pas caler (pas d’embrayage, ni de boîte de vitesses), et la poignée est progressive. En gros, c’est un scooter. Surtout sur le mode Eco, qui la bride à 90 km/h (mais qui est bien pratique lorsque vous avez surestimé l’autonomie…). Parlons rapidement d’autonomie d’ailleurs : en usage normal, j’ai parcouru entre 170 et 180 km avec une recharge, en roulant toujours en mode Track et avec la récupération d’énergie à fond (on y reviendra). Si je m’amusais à accélérer comme un sourd à chaque occasion, je descendais à 140 km. Sur autoroute, cela tourne aux alentours de 120 km. En ville, Energica annonce 400 km. Mais je vous avoue que je n’ai pas vérifié (et je ne pense pas que ce soit le meilleur véhicule pour l’exercice).

Revenons-en au moteur, et au mode Track. C’est sur celui-ci que l’Energica Ribelle RS prend tout son sens. Chaque accélération est l’occasion de se faire un shoot d’adrénaline, comme aucune moto thermique ne peut le procurer. Parce que normalement, la puissance arrive de manière exponentielle. Vous tournez la poignée et vous avez quelques centièmes de seconde pour que le moteur prenne du régime et procure sa force. Sur l’électrique, ce délai est réduit à néant. Vous tournez la poignée et le temps que votre cerveau vous envoie l’information que vous venez de toucher la butée, vous êtes déjà en train de vous agripper au guidon. C’est flagrant entre 80 et 120 km/h et édifiant si vous déconnectez le Traction Control : malgré ses 270 kilos, la roue avant de l’Energica quitte le sol. En fait, je ne vais pas vous mentir : je n’ai jamais réussi à m’y habituer. À chaque fois que j’accélérais à fond en ligne droite, j’étais surpris.

Autre point important : la récupération d’énergie. Elle est paramétrable sur 3 niveaux et déconnectable. Grâce à elle, la batterie se recharge en récupérant l’énergie produite par la roue arrière lorsque l’on coupe les gaz, ce qui crée du frein moteur. J’ai préféré rouler sur le mode le plus élevé pour deux raisons : pouvoir parcourir plus de distance avec une recharge et aider la moto à ralentir. Compte tenu de son poids, j’appréciais ne pas avoir à taper dans les freins dès que je devais réduire ma vitesse. En réalité, on peut même se passer des freins 80% du temps : le frein moteur est bien plus important qu’un gros bicylindre et j’ai du mal à me souvenir d’une moto qui en avait autant (vous pouvez vous arrêter en passant de 70 km/h à 0 en 100 mètres environ, sans toucher au levier ou à la pédale).

Pour finir, elle ne fait presque pas de bruit. Vous me direz que c’est assez logique pour une moto électrique… En fait, elle émet un sifflement aigüe et relativement fort. Un peu comme un vaisseau spatial Star Wars®. C’est déroutant : on attend d’un Streetfighter qu’il vous fasse peur en permanence, qu’il vous rappelle à chaque instant qu’il est capable de terroriser n’importe quel usager de la route. Là, vous oubliez complètement que vous êtes assis sur un véhicule capable de vous envoyer sur la Lune à chaque approximation du poignet droit.

Châssis

Energica EVA Ribelle RS train-avant

Les lois de la physique étant ce qu’elles sont, il faut se rendre à l’évidence : on ne peut pas faire une moto avec une partie-cycle sportive pesant 270 kg. C’est la principale faiblesse de l’Energica Eva Ribelle RS. Pourtant, tout est fait pour lui faciliter la vie : ses suspensions sont de bonne qualité, ses roues également, elle a un cadre tubulaire rigide… On sent qu’elle a fait des efforts. Mais le poids et l’emplacement de la batterie la rattrapent, pour deux raisons. La première, c’est au niveau de l’équilibre de la moto. Ce n’est pas très naturel et ça demande un peu d’efforts au guidon pour pencher. Il faut contrebraquer davantage en virage pour que la moto prenne de l’angle. Ensuite, au niveau de la rigidité. C’est une obligation : qui dit moto lourde, dit cadre rigide et donc moins de feeling en virage. On sent que la moto travaille peu et demande à s’habituer pour mettre son pilote en confiance. Rajoutez à cela un petit peu de mouvements qui brident la précision et vous obtenez une machine qui ne pousse pas à l’attaque.
En revanche, son comportement est bien suffisant pour rouler à une allure normale. La moto est saine et n’a pas de réactions déroutantes. Il faudra simplement se cracher dans les mains pour rouler vite à son guidon, à la différence de ses concurrentes thermiques.

Freinage

Energica EVA Ribelle RS freinage

C’est une de ses qualités. Le freinage est à la fois dosable, puissant et avec un bon mordant. On a rarement besoin de tirer fort sur le levier, mais quand on doit le faire, le système répond avec précision. En fait, je n’ai vraiment pas grand-chose à lui reprocher. D’autant que le système de récupération d’énergie permet de bien ralentir l’engin et le freinage devient presque accessoire en usage routier !

Confort

Energica EVA Ribelle RS train-avant

L’Energica Eva Ribelle RS a plutôt un tempérament sportif. Donc forcément, elle ne mise pas sur le confort : la selle est un peu inconfortable sur les longs trajets et la protection quasi-inexistante. Pourtant, il y a un élément qui la rend agréable : l’absence de bruit. Je sais que la plupart d’entre-vous va crier à l’infamie et me traiter de lâche, mais c’est une réalité : le silence fait du bien sur une moto. Je ne dis pas que le bruit est mauvais hein… Je dis juste que c’est plus reposant, qu’on roule de façon plus détendue et qu’on est mieux connecté aux éléments sans bruit moteur. Rajoutez à ça l’absence de vibrations et vous avez une moto qui gagne en confort… Mais ça ne se ressent malheureusement pas dans la note High Side (qui n’est pas adaptée aux motos électriques, on l’avoue). En fait, on en vient même à entendre de nouveaux bruits : les graviers dans les gardes-boue, la chaîne, les pneus qui crissent. C’est différent.

Polyvalence

Energica EVA Ribelle RS polyvalence

Même constat : l’Energica Eva Ribelle RS excelle dans un domaine : se faire des sensations en ligne droite. Pour le reste, elle est principalement bridée par ce qui la rend sensationnelle : son moteur électrique. Oubliez le tourisme, avec des temps de recharge encore longs (8 heures sur une prise domestique, 1h30 en Fast Charge). Son châssis n’est pas assez sportif pour rouler vite. Le duo n’est pas spécialement confortable.

La bonne nouvelle, c’est qu’il y a peu de chances que vous ayez envie de dépenser autant d’argent dans une moto électrique pour tout faire. C’est un objet original, rare, sensationnel, que l’on utilisera comme une moto B, C ou D. La « A » sera certainement une thermique. En attendant, l’Energica Eva Ribelle RS a sa place parmi les motos sensationnelles de la production. Et pour être honnête, je ne serais pas contre l’idée de l’avoir dans un coin de mon garage, pour me faire des shoots d’accélération de temps en temps et faire découvrir cela aux motards les plus sceptiques (mais si vous avez lu jusqu’ici, il y a de grandes chances que vous n’en fassiez pas partie).