Bruce Jouanny est un ancien pilote automobile, aujourd’hui présentateur de Top Gear France. Ce que peu de gens savent, c’est qu’il aime aussi la moto. Nous l’avons donc invité à participer à notre rubrique Une Star Un Slider, pour lui apprendre à poser le genou à moto, et – accessoirement – le faire monter pour la première fois de sa vie sur une machine de grosse cylindrée.
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Bon Bruce, je suis désolé pour ce que j’ai dit sur le plateau…
Le plateau ?
Ouais, tu sais, j’ai dit que t’étais un gosse de riche avec des complexes d’infériorité.
Ah oui, c’est sympa ça…
Mais je ne le pense pas vraiment.
Ça fait un peu mal quand même…
Finalement j’ai changé d’avis sur toi. Tu te présentes à nous pour relever un défi : poser le genou à moto. Et le truc un peu particulier, c’est que t’as pas le permis moto.
Non, j’ai fait un peu de cross entre 7 et 8 ans, avec un PW50.
Ça s’appelle pas du cross ça…
Oui, enfin, du tout-terrain dans le jardin (rires). Donc ça va me changer un petit peu, ouais. Mais c’est cool !
Je crois que tu fais aussi un peu d’enduro avec tes potes. Parle nous de ces voyages, c’est un truc de fou ce que tu fais !
Dans le sud j’ai un camarade qui s’appelle Stéphane Ortelli, un grand pilote, qui a gagné les 24 Heures du Mans et plein de trucs. Il fait pas mal d’enduro. C’est lui qui m’a amené, il y a 2 ans, faire un peu de balade…
Ça s’est soldé au bout de 50 mètres : une petite descente, un peu humide avec des feuilles mortes. Il me dit : « Bon, touche pas au frein avant et ça devrait aller. » Et VLAN, je tombe. Il me dit : « Non, mais c’est le passage le plus difficile de la journée… »
Il commence par ça, c’est sympa.
Ouais, puis après on est partis avec des potes, on a fait toute la basse Californie, le parcours de la Baja 1000.
En fait, c’est une course de rallye raid américaine ?
C’est ça, avec des whoops. 50 kilomètres de whoops. Donc t’es content…
Il t’a emmené là dedans, alors que tu fais pas de moto ?!
Ouais, on est partis comme ça. Mais en fait on s’est marrés. J’ai un autre pote pilote qui fait pas de moto qui est venu. On a passé une semaine de malade.
T’as fait tout le parcours ?
Il y a deux possibilités : 1150 kilomètres ou 1600 kilomètres, on a fait 1150. Mais on les a fait en 6 jours de ride, donc c’était pas mal.
si j’ai le choix entre un GP de moto et de F1, je regarde la moto.
Je crois que de toute ma vie, j’ai du faire 100 kilomètres en enduro. Je déteste ça.
C’est pas ce que j’ai entendu… Enfin, tout dépend si tu considères les bas-côtés comme de l’enduro.
Ah, si on compte les passages dans les bacs à graviers, j’ai dû faire 12 000 bornes !
C’est ce que j’avais compris (rires)…
Qu’est ce que ça t’inspire en tant que pilote auto quand tu vois des courses de moto ? Tu suis un peu ?
Bah si j’ai le choix entre un GP de moto et de F1, je regarde la moto. Je regarde que la qualif de la F1. La moto c’est tellement spectaculaire, ça me fait halluciner !
Plus de dépassements, les mecs sont un peu chauds… C’est vrai que c’est dommage que la Formule 1 devienne plus une course de logistique et de stratégie, que des bras de fer entre les hommes.
En fait, on a un problème en automobile, c’est qu’il y a des ailerons. Et les mecs ne peuvent pas suivre. Les distances de freinage sont tellement courtes que le temps pour doubler est raccourci à mort.
En fait, c’est moins spectaculaire parce que c’est beaucoup plus performant, finalement.
Exactement, il y a beaucoup de techno et c’est difficile de revenir en arrière… C’est le top de l’automobile donc l’aérodynamique fait partie du truc, tu ne peux pas le retirer. Alors que la moto, c’est juste du pur spectacle.
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Bon, tu fais un peu de moto mais ton activité principale c’est pilote automobile. Parle-nous un peu de ça : comment s’est lancée ta carrière ? Qu’est ce que t’as fait au début ?
Faut parler au passé déjà. Ma carrière de pilote automobile, elle est plus derrière que devant.
Tu en fais quand même encore un petit peu…
On fait Top Gear, mais c’est pas vraiment du sport auto parce qu’on essaie des choses qui roulent souvent pas très longtemps. Le sport auto, je n’en fais plus des masses d’une part parce que j’ai plus vraiment le temps et d’autre part parce que dans une carrière, à un moment donné, quand on décide de s’arrêter pour se concentrer sur des vrais jobs, on perd un peu le fil et on passe vite aux oubliettes… Donc voilà, c’est un sport un petit peu ingrat, comme la moto. Cette année j’ai pour projet de faire Pikes Peak, qui est la plus grande course de côte au monde qui termine à 4300 mètres d’altitude.
Mon objectif était d’accéder à la F1. On n’est pas passé loin…
T’es sous oxygène en plus là-haut je crois ?
Non. N’exagère pas…Pour répondre à ta question sur le sport automobile, j’ai commencé à 11 ans par le karting et puis c’est venu naturellement. Il y a la progression dans le karting, dans les catégories : cadet, national, international… Et après ça, le passage se fait vers l’automobile. J’ai démarré avec la formule Renault, puis la F3 britannique… Beaucoup de monoplace. Avec pour objectif d’accéder à la F1, qui malheureusement a échoué. On est pas passé loin, mais ça s’est pas fait.
T’en as déjà piloté ?
Non, non…
Je suis très déçu. Je pensais que tu avais du talent, en fait pas du tout.
Ah non… D’ailleurs tu le verras toute à l’heure sur la moto : pas de talent.
Tu la joues à l’esbroufe : t’as l’air un peu trop serein, je pense que tu vas très bien te débrouiller.
Non, non… Disons que ça sert à rien d’avoir peur avant. Après si je suis nul, je suis nul, tant pis.
C’est là qu’on voit que tu es un pilote d’expérience : ne pas se prendre la tête avant, c’est essentiel. Les faits marquants de ta carrière en automobile ?
C’est que des faits perso et des bons souvenirs sur le moment où tu performes. La première victoire en Formule Renault, à Nogaro. La première victoire en F3…
Une F3, c’est pas comme vos chiottes : on a du grip et on a de la charge.
Ah quand même, t’as gagné des trucs !
(Rires) « Ah il est pas complètement nul ». Non, j’ai gagné quelques courses quand même… Ce qui m’a le plus marqué, ce sont des moments au volant. Quand tu fais une pole, un tour quasiment parfait. Je me souviens d’une qualif à Zenvort, au Pays Bas. Un truc qui s’appelle les Masters F3. Ça réunissait les championnats de France, d’Angleterre, d’Allemagne et du Japon. C’était avec des pneus Bridgestone, qui avaient beaucoup de grip pendant un tour et demi. La voiture est collée par terre, ce qui fait que tu es jamais à la limite. Du coup tu pousses, tu donnes tout ce que tu peux, mais non, il y a du grip. C’est pas comme avec vos chiottes : nous on a du grip et on a de la charge.
Tout jeune journaliste, j’ai fait un baptème dans une Larousse de 94 à Magny Cours. Ils avaient rallongé la voiture…
Pas trop pour toi…
Non, pour moi il n’y avait pas besoin. Ils l’avaient fait au cas où il y ait des grands cons comme toi… Non, je rigole. C’était pour mettre 2 passagers de chaque côté du pilote.
OK, donc trois places.
J’étais derrière la roue-avant droite. Les mecs t’attachent avec des sangles de camion. Ils serrent, ils serrent, ils serrent et puis au bout d’un moment tu dis : « Arrêtez, je respire plus » et ils me disent : « Sérieux faut continuer parce que ça bouge. » C’était Mathieu Zangareli le pilote, je m’en souviens…
Ahhh ben j’ai couru avec lui.
Quand il a quitté les stands, j’étais en train d’expirer. Il a accéléré au même moment. Il m’a coupé le souffle, dans la voie d’accès, pendant 10 secondes.
Ça s’appelle : la motricité (rires). On a deux grosses roues derrière ça permet d’avoir un peu de grip.
Et on arrive à Adelaïde, où si à moto tu freines à 200 mètres, c’est déjà pas mal. J’ai vu le panneau 200 passé, j’ai eu l’impression de voir ma vie défiler. Je me suis dit : « Il freine pas, il a eu une rupture d’anévrisme, le pilote est mort et on va tout droit dans le mur. » Non, il a tourné. C’est bluffant. La monoplace c’est vraiment fabuleux.
C’est là que tu prends le plus de G en décélération.
J’ai beaucoup de respect pour les pilotes de monoplace. Je trouve ça juste incroyable.
Bon on roule tous les deux sur le circuit, à un moment donné ?
Il lâche les gaz, je monte sur sa roue-arrière, le vent s’engouffre en dessous, j’ai décollé…
Ouais, enfin, toi tu vas faire des tours, moi je vais te regarder. Mais on n’a pas fini l’interview. On n’a pas parlé des accidents, tout ça.
Ah oui, excuse moi !
Parce que dans la monoplace, les accidents ça pardonne pas trop…
Ah si, si, quand même. Sinon je serais plus là. J’ai eu un accident à Thruxton, qui est un circuit hyper rapide : ça freine 2 fois, c’est à fond tout le temps. Un truc de dingue. Je me battais pour la troisième place avec un mec du pays de Galles, un rouquin. Il était un peu spécial… On s’est accroché plein de fois… On arrive au deuxième freinage, qui est l’avant dernier virage et il ferme la porte parce qu’il sait que je vais tenter de le doubler. Moi, j’étais à l’aspi derrière, j’étais même plus à fond dans la ligne droite. J’étais à 261. Il lâche les gaz, je monte sur sa roue-arrière, le vent s’engouffre en dessous et j’ai décollé…
Non ?! Comme les trucs qu’on voit sur Youtube ?!
La même chose ! Sauf qu’en face, c’était un virage qui se refermait… J’ai décollé, je suis passé au-dessus du mur de pneus et au-dessus d’un grillage qui fait 7 mètres de haut, je l’ai traversé. J’ai pas du tout, du tout, pu décélérer. J’ai traversé une aire de spectateurs, heureusement il y avait moins de monde que prévu mais il y a quand même eu une dame blessée. Je l’ai jamais rencontré jusqu’à l’été dernier où je suis allé la voir.
j’ai fait 8 tonneaux et j’avais rien. Je m’étais juste coupé la langue.
Non mais ça on s’en fout, est-ce que t’as pu reprendre la course ? (Rires)
Bah j’étais plus sur le circuit… J’ai terminé derrière un stand, sur un petit chemin, sous un buisson. C’était compliqué pour rouler parce qu’il n’y avait plus de roue sur la voiture. Le moteur était à côté de moi, au lieu de derrière, mais le câble d’accélérateur était toujours attaché, avec le moteur au rupteur ! Et le truc marrant, c’est que j’étais dans la caisse, arrêté sous un arbre, sans roue… Et je cherchais la pédale de frein. Puis à un moment je me suis dit : « C’est bon, respire, t’es arrêté là ». Il y a une cellule en carbone et pour le coup, j’ai fait 8 tonneaux et j’avais rien. Je m’étais juste coupé la langue.
Au Mans aussi, j’ai un pneu qui a explosé à 315 km/h… Juste avant le virage d’Indianapolis, il a déchapé. Et j’ai rien eu. C’est quand même cool !
Tu as aussi fait les 24h du Mans ?
3 fois entre 2005 et 2009, la dernière fois avec Pescarolo. On a fait 3ème des voitures essence et 8ème au scratch.
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Du coup, l’aventure Top Gear, comment ça a commencé?
J’ai un pote qui faisait le casting, il m’a appelé : « T’es au courant qu’il y a le casting de Top Gear en ce moment ? » « Non. » « Ah, ce serait vachement bien pourtant, il faudrait que tu y ailles ! ». « Ben ouais mais bon, ils m’ont pas appelé hein… » Il me dit : « Attends, j’appelle la directrice de casting ! » Et puis finalement on a fait un premier casting, un deuxième, un troisième et ça c’est fait comme ça.
Du coup, quand tu me racontes un peu tout ce que t’as fait en pilotage, en course… Tu en gardes vachement sous le pied dans l’émission ?
Ah ben t’es obligé ! Je me suis déjà fait taper sur les doigts. Pas souvent, parce que je suis quand même un garçon assez bien élevé, droit, un gosse de riche hein ! On a testé l’Aventador SV, en Auvergne, un endroit magnifique. On tournait sur une départementale et la Gendarmerie me dit : « Bon, on a pris les paris hein ! » « C’est-à-dire ? » « 210. On a pris un mec avec une BM diesel une fois, c’est le plus rapide qu’on a flashé sur cette route. » Alors j’ai fait 3 passages. Au repérage j’étais à 275. Au premier passage j’étais à 302 et au deuxième passage j’ai pris 314. Du coup ils m’ont surnommé Pi, pour 3,14…
Mais sur quelle distance tu as réussi à prendre ça ?
Oh, il y avait des bornes… Il devait y avoir 4 kilomètres. Il y avait un peu d’espace, c’était roulant.
Les gendarmes étaient contents. Mais la production, pas trop…
Et ça leur a fait plaisir ?
Non ! Enfin, aux gendarmes, oui, ils étaient contents ! Mais la production, pas trop. La directrice de production était à Paris, je sais pas comment elle a fait, mais 30 secondes après, mon téléphone sonne dans la voiture. Je fais : « Hello ! Salut Virginie ! » et j’entends : « AHHHHHHH ».
Ah ouais, tu t’es fait dénoncer par ta propre prod’ ! Donc en fait, de temps en temps t’es un peu chaud et ils ont tendance à te calmer…
Mais il y avait pas de danger. À part les vaches.
Le danger, c’est une notion relative…
Oui, puis la route était fermée déjà.
Oui, je t’ai même pas posé la question, c’était évident !
Il y a des endroits où il y a réellement du danger, où les gens de la production, qui ne sont pas nés dans l’automobile, ne le voient pas forcément. Donc je suis là pour dire : « Attention, on va peut-être pas faire la connerie au bord de la route… Il y a des arbres… » Grosso modo je suis quand même assez sage.
C’est marrant ce que tu dis : on a le même problème dans notre émission. Les cadreurs ont toujours tendance à se mettre au milieu. Surtout lui, là, tout le temps sur la zone de mort. De l’extérieur, ils se rendent pas compte…
Ouais, ils te disent que c’est joli : « Olala, c’est beau ! »
Et lui, il fait tomber les motos tout seul.
Ah ouais, t’as une bonne équipe !
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Bon Bruce, on va arrêter de parler parce que je te rappelle que tu es là pour accomplir un défi : poser le genou sur la moto de tes rêves. Bon, il se trouve qu’on t’a pas trop donné le choix, on est venu avec nos machines : une Yamaha R6 préparée pour High Side et celle qui t’a mis la petite fessée, que tu reconnais derrière (NDLR : celle que pilotait Bader lors de son affrontement contre Bruce en Laponie).
Vous avez changé les roues, vous avez bien fait.
On n’a pas gardé les clous, quoique, ça aurait pu être fun ! On va d’abord commencer par la 600, juste histoire de se mettre en jambe, passer les vitesses, se mettre en forme.
Au final, malgré son peu d’expérience sur une moto de route, Bruce a été étonnant ! Il a rapidement posé le genou avec la R6, puis la CBR 1000. Appliqué, à l’écoute et naturellement à l’aise sur un circuit, il a impressionné tout le monde par ses prises d’angle qui étaient loin d’être ridicules ! Défi réussi, pas mal pour un caisseux !
Propos recueillis par Bader Benlekehal – Saison 01 – RMC Découverte – Épisode 06