La BMW M 1000 RR est-elle la meilleure moto sportive jamais conçue ?
BMW M 1000 RRpar Bader
La BMW M 1000 RR n’existe pas pour être vendue. D’ailleurs, elle ne nous est pas destinée. Par « nous », j’entends tous ceux qui n’ont pas l’ambition de gagner un championnat ou de monter sur un podium. Courir et gagner en compétition, c’est l’unique objectif de ses concepteurs. Bien sûr, elle est disponible chez le concessionnaire du coin, et comme c’est une BMW, elle est tout à fait utilisable au quotidien sur route. Si vous la voulez, vous pouvez donc l’acheter, du moment que vous avez 33 270 euros à dépenser. Soit le prix de presque deux S 1000 RR.
BMW et les sportives
Voici l’histoire exhaustive des motos sportives BMW de ces 40 dernières années : rien… rien… une erreur… rien… ah… non rien… et BOUM, la S 1000 RR. Voilà . C’est, en gros, une version allemande du Big Bang. C’était en 2009, et c’était le genre de boum qui fait beaucoup de dégâts. Arrivé des décennies après tous les autres constructeurs sur le marché de la moto qui va vite, BMW pose sa première véritable moto sportive : 193 chevaux pour 204 kg tous pleins faits. C’est la plus puissante de toutes, de loin celle avec le meilleur rapport poids/puissance, et comme si ça ne suffisait pas, elle dispose en plus d’assistances électroniques de pointe, d’options insensées sur une sportive, comme les poignées chauffantes ou le régulateur de vitesse, et même… d’une selle confortable.
L’intello gringalet a changé, il est devenu le pote qu’on rêve tous d’avoir
Défenestrations, licenciements, dépression, impuissance masculine… Il n’est pas très difficile d’imaginer les conséquences chez les concurrents à la sortie de cette S 1000 RR. A quel point ça devait être dur pour les autres constructeurs, de se faire doser par l’intello gringalet, BMW, ou le constructeur de motos le plus pragmatique, triste et bien coiffé de la classe. Parce que oui, c’est bien dans ce contexte, et après 90 ans de motos efficaces et moroses, que nait cette curiosité dans la gamme de Munich : une moto non-raisonnable, qui cabre, qui glisse à l’accélération et qui, jamais vu pour une BMW, possédait une forme aérodynamique et agréable à regarder. L’intello gringalet a changé, il est devenu le pote qu’on rêve tous d’avoir. Depuis, le roadster S 1000 R est apparu, le trail S 1000 XR aussi, et avec la S 1000 RR, ces trois machines équipées du 4-cylindres en ligne de 1000 cm3 sont les vitrines sportives du constructeur, et font le job (une série de vidéos High Side sur ce moteur et ces machines sont en cours d’écriture – vous risquez d’apprécier). Mais ça ne suffisait pas, pour les raisons que vous allez lire maintenant.
Qu’est-ce que la « M » 1000 RR
Pour résumer la BMW M 1000 RR, on peut dire que c’est la version ultime de la sportive de Munich. C’est aussi, et ce n’est pas rien, la première moto préparée par les caisseux du Motorsport. Pour ceux qui ne connaissent pas, il s’agit de la filiale spécialisée dans l’optimisation de voitures sportives du constructeur allemand, appelée plus simplement « M » aujourd’hui. Ici, BMW a demandé à « M » de se pencher sur la S 1000 RR pour la rendre meilleure. Difficile d’imaginer que des gens dont le métier consiste à améliorer des parpaings sur 4 roues depuis 1972, ont quelque chose à apprendre à des gens qui fabriquent des motos rapides. J’avais rendez-vous sur le circuit de Magny-Cours pour arrêter d’imaginer, et le constater, si toutefois c’est le cas.
les motos sportives chez les constructeurs ne sont pas créées pour être vraiment vendues
Avant de vous dire si elle est « bien », ce dont je ne doute pas vraiment, il est important de comprendre, ou de se rappeler, pourquoi cette « M » existe. Elle, et toutes les séries spéciales des sportives sur le marché. D’abord il faut savoir que les motos sportives chez les constructeurs ne sont pas créées pour être vraiment vendues, mais pour battre les concurrents en compétitions nationales et internationales. Depuis que l’industrie auto et moto existe, la meilleure publicité pour un constructeur, celle qui assoit son autorité et qui l’érige au rang de « meilleur » aux yeux du grand public, ça a toujours été la victoire en course, les titres de champions du monde et les hectolitres de mousseux espagnol pas ouf qui vont avec.
Quand BMW produit la S 1000 RR en 2009, c’est pour fabriquer les bases d’une moto compétitive pour se battre en championnat du monde Superbike. Ce règlement (mais aussi ceux de presque tous les championnats nationaux de vitesse de tous les pays du monde) autorise uniquement les motos de série, qui ont donc reçu une homologation et ont été vendues à un nombre d’exemplaires minimum, à concourir.
Dans ce règlement, les teams ont peu de marge de manÅ“uvre pour modifier les motos de série. Par exemple, il y a une interdiction totale de modifier les pièces internes du moteur. Idem pour le cadre et les points d’ancrage du bras-oscillant etc… Donc plus la base de la moto de série est performante, et plus elle a de chances de gagner. Voilà pourquoi ces motos n’existent pas vraiment pour être vendues. C’est même tout le contraire : elles sont vendues pour exister. Maintenant que le mystère sur la raison d’être des motos sportives, et plus particulièrement des séries spéciales hors de prix, est élucidé, parlons de cette « M ».
les gars « M » n’aiment pas bien se faire tordre par des gens plus tristes et rigides qu’eux
Malgré l’ambition et les moyens colossaux de BMW pour fabriquer cette sportive et l’améliorer drastiquement à deux reprises en 12 ans d’existence, la S 1000 RR n’a jamais vraiment brillé en compétition. Faut dire qu’ils partaient d’une feuille blanche, et que malgré cette arrivée tardive, il y a bien eu quelques coups d’éclat dans des championnats de vitesse nationaux, au Tourist Trophy et en endurance mondiale, bien sûr, mais pas la domination attendue par tous.
Voyant que les choses n’avancent pas assez vite pour concrétiser cela, BMW a toqué à la porte de sa filiale « M » : « les gars, on a une bonne base, ça lève, ça penche et ça freine, mais ça suffit pas pour déchirer les japs… vous avez quelques idées ? ». Évidemment les gars « M » sont un peu chauds. Ils n’aiment pas bien se faire tordre par des gens plus tristes et rigides qu’eux. « M » c’est un peu le camp de base de sorciers de la mécanique. Et, ils l’ont prouvé avec les voitures parmi les plus cool de l’histoire, ils sont capables d’améliorer n’importe quoi du moment que l’objet est censé se déplacer vite à l’aide d’un moteur et de quatre roues. Mais jusqu’à aujourd’hui ils n’avaient jamais entrepris un chantier sur deux roues.
Le challenge est donc conséquent : améliorer la S 1000 RR pour faire une version de série homologuée plus performante qui sera la base des motos engagées en WSBK et les championnats nationaux. Mais, et encore une fois, comme c’est une BMW, elle doit faire tout ça, et être le plus adaptée possible à un usage quotidien sur route. Pour ma part, je ne constaterai rien de cette facette, mon terrain de jeu étant l’ancien tracé de Formule 1 et du Bol d’Or qu’est la piste trop souvent humide mais néanmoins charmante et rapide de Magny-Cours. J’ai pu la tester sous la pluie et sur piste sèche. C’était un bon moment dans les deux cas.
Le moteur de la M 1000 RR :
Une des choses que BMW voulait améliorer sur la S 1000 RR c’est la vitesse de pointe. « M » est parti sur la même base moteur que la S 1000 RR, donc un 4-cylindre en ligne 16 soupapes en titane de 207 chevaux à 13 500 tours pour 113 Nm à 11 000 tours et un taux de compression de 13.3:1 disposant d’une distribution variable baptisée ShiftCam (voir « c’est quoi le ShiftCam »). « M » avait donc une bonne base. Revenons au manque de vitesse maxi. Il n’y a pas 3000 manières d’en obtenir : pour ça il faut plus de puissance. Et pour avoir plus de puissance, il faut plus de régime moteur. Pour permettre à ce moteur de prendre plus de tours, il a fallu notamment alléger les pièces qui bougent dedans, car plus elles sont légères et plus elles sont faciles à faire tourner vite (voir « Les modifications moteur).
Ces modifications permettent de passer à 212 chevaux (soit 5 de plus) à 14500 tours, et de décaler la coupure d’allumage 500 tours plus loin qu’avant, soit à 15100 tours. Un surplus d’allonge qui aide la moto à gagner de la vitesse. Mais pas seulement puisque de 6 000 à 15 000 tours, ce moteur est plus puissant ET plus coupleux. En revanche, il est désormais plus creux en dessous des 6 000 tours. Adieu la patate atomique notoire de la S 1000 RR à l’effleurement de la poignée de gaz. On ne peut pas tout avoir. Les quelques tours partagés avec des S 1000 RR standards pilotées par les marshals ultra qualifiés de l’école BMC (notamment Nicolas Dussauge, Alex Viera et Guillaume Dietrich) me permettent de constater que l’accélération de ma BMW M 1000 RR est nettement supérieure à celle de leur S 1000 RR, leur palmarès ne suffisant pas à me déposer en ligne droite (ce qui arrivera en revanche sur toutes les autres phases de pilotage où le talent prime). Mais il m’a fallu ces références pour le confirmer. En ressenti pur, cette puissance supplémentaire n’est pas perceptible. En revanche ce qui saute vraiment à la figure et qui est absolument incroyable, c’est l’allonge : ces 500 tours de plus avant le rupteur semblent infinis. C’est non seulement très efficace, parce que ça permet de tirer les rapports plus longtemps et évite parfois de devoir passer une vitesse avant un virage, mais en plus, le son produit par le moteur à hauts régimes est divin. Dans les très hautes sphères du compte-tours, en général, les motos ne sont pas très agréables, on sent la puissance s’essouffler ou alors on tape trop vite le rupteur et du coup on n’y reste pas. Ici il y a à la fois beaucoup de puissance et de douceur, notamment sur la coupure d’allumage, on se permet donc d’exploiter cette zone du compte-tours sans la ménager. C’est mal. Mais c’est bon.
Le châssis de la M 1000 RR :
Pour grossir le trait, je dirais que je vois la S 1000 RR comme une moto qui ne demande qu’à cabrer et glisser à l’accélération. Une moto fun mais parfois délicate à emmener vite sur un tour chrono à cause de son côté « dynamite ». Tout ici a été fait pour rendre la M 1000 RR plus facile à piloter, plus stable, et offrant un feeling plus précis du train avant au pilote. Elle est plus légère de 5 kg, ce qui fait un total de 192 kg avec les pleins. La majorité de cette perte provient de la ligne d’échappement en titane (-3,7 kg) et des jantes en carbone (-1,7 kg). D’ailleurs, ce dernier détail en fait la première moto de l’histoire homologuée à être vendue de série avec des jantes en carbone.
Mais on ne le voit pas que sur les jantes. Les carénages en sont intégralement constitués tout comme les « winglets ». Parlons ici de ce qui permet à la M 1000 RR d’accélérer plus tôt : le travail aérodynamique produit par ces drôles de morceaux de carbone. Même si c’est cool à vivre, une sportive qui cabre à l’accélération ne passe pas toute sa puissance au sol. Double peine, l’électronique qui est censée limiter le cabrage baisse la puissance du moteur pour reposer la roue avant au sol. Voilà pourquoi les ailerons sont clairement une des évolutions majeures sur les motos sportives. Leur but est de générer de l’appui sur le train avant pour limiter naturellement le cabrage à l’accélération, et du coup aussi l’intervention de l’anti-wheeling. La moto accélère plus efficacement, le chrono tombe. CQFD.
Concernant le développement des ailerons par « M », il a été fait en dynamique sur circuit mais aussi en soufflerie. Les valeurs mesurées sont de 4,1 kg d’appui à 150 km/h et de 16,3 kg à 300 km/h. A titre de comparaison, la Ducati Panigale V4S et ses énormes ailerons produisent 30 kilos d’appui à 270 km/h, donc nettement plus. BMW a préféré limiter l’appui au strict nécessaire. Un aileron étant par nature un frein aérodynamique, il finit par limiter la vitesse maximale de la moto. Pour compenser ce revers BMW a opté pour une bulle redessinée, plus haute qui couvre davantage le pilote. C’est du réglage fin…
Ce que j’ai pu constater, c’est une stabilité supérieure à l’accélération. C’est dû notamment aux modifications châssis aussi (voir « Les modifications châssis »). Les S 1000 RR sont des tempêtes et génèrent beaucoup de mouvement sur ces phases en général. La M 1000 RR est plus rassurante, elle bouge moins. C’est très sensible, en revanche c’est encore loin d’être un rail à l’accélération pleine charge, parce que ça brasse énormément avec des mouvements de louvoiement dès qu’on quitte franchement le filet de gaz. C’est pas dangereux, pas flippant du tout, mais très présent. Reste à déterminer la part des pneus dans ce comportement, ici des Michelin Power Slick 2.
Dans les virages, 2 phases sur 3 sont à mon sens excellentes : la première est l’entrée en courbe. Très incisive, la M 1000 RR se place avec plus de précision que la S 1000 RR, mais surtout facilement. J’ai eu à plusieurs reprises le sentiment d’y aller trop tôt malgré moi. La seconde phase est plus complexe, parce qu’une fois calée sur l’angle, il est assez physique de resserrer la trajectoire. Plus rigide, plus ferme, on sent que la M 1000 RR demande plus d’effort, un pilotage plus engagé pour tourner. Logique étant donné ceux à qui elle est destinée, mais potentiellement frustrant si vous n’êtes pas dans le rythme ou que vous avez un pilotage doux. La troisième phase, l’accélération, est très efficace grâce à une poignée de gaz douce et précise, mais aussi à une tenue de cap sans forcer : la moto n’élargit pas ou peu et se place au regard.
Le freinage de la M 1000 RR :
Sans doute le point le plus remarquable et le plus facile à sentir : l’évolution du freinage. Ces étriers bleus estampillés « M » sont des Nissin. Ils ne sont pas seulement jolis, ils sont aussi très efficaces. Par le passé, les S 1000 RR, comme beaucoup de sportives d’origine (Yamaha R1, Suzuki GSX-R 1000…) avaient des problèmes de fading récurrents. Le frein avant surchauffait très vite, ce qui le rendait inutilisable après plusieurs tours sur les circuits les plus exigeants en matière de freinage. Ici non seulement les problèmes de surchauffe ont totalement disparu, mais en plus la capacité de décélération de la moto est phénoménale, dans l’absolu. La puissance générée par ces étriers de freins, qui sont des dérivés des Nissin de WSBK, est énorme. Sur ma moto, ils étaient équipés des plaquettes type route (une autre référence de plaquettes type endurance est disponible). Ils procurent un sentiment de friction que j’adore, très perceptible dans le levier, ce qui donne une lecture très précise de ce qui se passe, et l’intensité avec laquelle on freine. Autre bon point au freinage qui est une conséquence des changements de géométrie, avec une assiette légèrement sur l’arrière, la moto est plus stable sur les freinages très appuyés et reste en ligne. C’était très perceptible à bord, et contre les autres S 1000 RR sur piste.
Le confort de la BMW M 1000 RR :
Oui, on peut en parler. Même si ça parait ridiculement infime, il y a bien des différences de confort d’une sportive à l’autre. J’irais même jusqu’à dire qu’il y a des sportives confortables (pour des sportives) et d’autres atrocement fatigantes et inconfortables (même pour des sportives). La S 1000 RR se situait dans la catégorie des confortables. Les suspensions étaient souples, la poignée de gaz très douce, aucun à -coup d’injection, la selle était moelleuse, voire molle pour un usage sur circuit (plus elle est ferme et plus elle offre de feeling), la position de conduite n’était pas extrême sans trop d’appui sur les poignets voire même la sensation d’être plutôt en arrière comparée à d’autres. La M 1000 RR est presque pareille, mais plus ferme en suspensions, et offrant une position plus basculée sur l’avant. Avec sa bulle plus haute, elle protège plus que la version standard, ce qui est un vrai plus à l’usage. Ça reste donc une moto confortable… pour une sportive.
La polyvalence de la M 1000 RR :
BMW a toujours assumé ses sportives avec des aides et des assistances prévues pour apporter du confort d’utilisation sur route. Ça ne fait pas de la M 1000 RR une moto aussi polyvalente à l’usage qu’une bonne vieille GS, évidemment, ni l’engin idéal pour cruiser à deux sur l’autoroute, n’empêche que la liste d’options est longue et presque drôle ! Évidemment il y a absolument tout ce dont on peut rêver pour un usage piste, avec l’ordinateur de bord le plus complet jamais installé sur une moto avec écran de 6,5 pouces. Il fait office de chrono GPS et intègre les informations télémétriques comme l’angle de la moto, l’ouverture de gaz, la puissance de freinage, le nombre de changements de rapports par tour, les vitesses mini, moyennes et maxi et beaucoup d’autres choses intéressantes si vous avez le syndrome d’Asperger. Vous disposez d’un Pitlimiter réglable et d’un Launch-Control et d’un Shifter/Downshift. Mais, parce que c’est une BMW, vous disposez aussi, pour la route, d’un mécanisme enfantin pour passer la sélection de vitesses en passage classique ou inversé (plus pratique sur circuit), de poignées chauffantes, d’un régulateur de vitesse, et enfin d’une aide au démarrage en côte. Ces derniers font de la M 1000 RR la mieux équipée des sportives sur le marché et donc aussi, si on peut dire, la plus polyvalente.
Bilan :
Les préparateurs de briques sur 4 roues ont bien bossé, et au fond ce n’est pas une surprise. D’abord parce que la base, la S 1000 RR, ne manquait pas de grand-chose, et aussi parce que le Motorsport a toujours produit des véhicules extrêmement performants sans pour autant perdre de vue que des gens « normaux » vont vouloir s’en servir tous les jours. Une équation difficile à résoudre mais devenue la marque de fabrique de « M » pour tous les engins sur lesquels ils travaillent :
1 : Sur le papier, le véhicule doit pouvoir gagner n’importe quelle compétition.
2 : Il doit être homologué pour la route.
3 : Son tarif doit être en adéquation avec ses performances et cohérent par rapport aux concurrentes sur le marché.
Réunir ces trois critères dans une seule et même moto ça paraît être une mission impossible. Hé ben… ils l’ont fait.
Quelles sont les modifications moteur entre la S 1000 RR et la M 1000 RR ?
Quelles sont les modifications du châssis entre la S 1000 RR et la M 1000 RR ?
Qu’est-ce que le ShiftCam ?